J’écris cet article sur la route, Yoann est au volant, on surplombe le tigre, c’est tellement beau. Nous quittons le nord de la Mésopotamie, le cœur rempli de rencontres et des images plein les yeux.


On a senti un véritable changement lors du passage de Mersin a Gaziantep, comme l’impression de passer dans un autre pays. Ici les gens sont très religieux, et en période de ramadan on ne peut que le ressentir encore plus, on est dans une région qui a été bousculée par les événements en Syrie et en Irak, une région où malgré tout les minorités Kurdes et chrétiennes orthodoxes essayent de maintenir leur place. Ici il fait chaud, les paysages sont désertiques, caillouteux, la pistache est reine et les moutons sont rois. 


On oublie pas qu’on est dans le croissant fertile, le berceau de l’humanité. Nous sommes allés visiter le plus vieux temple jamais découvert, à Göbekli Tepe, qui date du néolithique (10e millénaire avant JC). C’est incroyable de voir ce lieu, ce que l’homme savait construire, sculpter et d’imaginer les rites auxquels il se consacrait. 


Mais je crois que ce qui nous a le plus marqué, ce sont les habitants de la région. Nous n’avons jamais été aussi bien accueilli qu’ici. Les gens sont toujours très content de nous voir, nous parler, nous offrir ce qu’ils peuvent.


Je n’oublierai pas cette sœur, qui est venue à notre rencontre lors de notre visite du monastère de Mor Hanayo, pour simplement discuter et finalement nous raconter sa vie d’errance, ancienne professeur de mathématiques à Mossoul, elle a du fuir à plusieurs reprises les attaques de Daech. Sa famille, celle qui reste, est dispersée à travers le monde. Elle est chrétienne orthodoxe assyrienne et a décidé de vouer sa vie à dieu. Elle vit depuis plusieurs mois dans ce monastère et juste avant de devoir s’éclipser pour aller prier elle nous a raconté un des 22 miracles qu’elle a recensé dans sa vie. Son histoire, c’était un peu un don inattendu.

Je me rappellerai aussi de cet homme qui est venu à notre rencontre, un soir dans les rues de Sanliurfa, voulant nous inviter à découvrir son restaurant. Et quand je dis « inviter » c’est le mot juste. Sans rien attendre en retour, il nous a installé à sa table d’honneur, nous a offert du çay, des cigarettes et des mezzes. On a pu participer à une soirée folle, un véritable spectacle, avec des musiciens, chanteurs et danses folkloriques auxquelles on s’est essayé non sans difficultés… Il nous a expliqué qu’ils célébraient les 100 ans de la libération de la ville contre l’envahisseur français, et que de fait c’était un honneur d’avoir des français à sa table, car aujourd’hui « vous, moi, eux, tous des frères ». 

Il y a eu tellement de moments comme ceux-ci, je pense encore au gardien du monastère de Mor Hanayo qui est venu spontanément passer la soirée avec nous à boire du thé, et comme il ne parlait pas anglais, a appeler ses amis francophones pour nous les passer au téléphone.

Ces boulangers qui nous ont offert leur pain, alors qu’on essayait de le leur acheter un soir, dans les rues de Urfa.

Le VRP de turktelekom qui nous a invité à déjeuner parce qu’on avait passé près de deux heures à essayer d’acheter une nouvelle carte SIM (une histoire de dingue).

L’homme de l’église orthodoxe de Mardin qui nous a fait monter sur le toit de sa

propre maison pour avoir une meilleure vue sur la ville.

Les enfants qui traînent dans les rues, qui s’excitent quand ils nous voient, essayent de nous parler anglais et finissent systématiquement par discuter football avec Yoann (enfin discuter est un bien grand mot, ça se résume souvent à une énumération de nom de joueurs suivi d’une grimace appréciative ou dépréciative et de fous rires).

Je pense à ces messieurs qui nous ont vu de loin avec nos courses et nous ont invité à les suivre dans un vieux bâtiment dont ils avaient la clef. De l’extérieur ce n’était qu’un poulailler, avec ses poules et ses paons, mais une fois à l’intérieur on y a découvert une surprenante chapelle byzantine.

Je pense également à ces rencontres inattendues lors de la visite du monastère de Mor Gabriel, où le bishop nous a invité à boire du çay dans ses appartements privés. On a discuté longuement avec son secrétaire qui nous a permis de mieux comprendre la place de la communauté orthodoxe assyrienne. Nous étions avec un turc allemand qui nous a ensuite proposé de nous faire visiter Midyad la ville d’où vient sa famille. Nous sommes allés chez sa tante, qui nous a fait entrer dans la maison en ruine de leurs voisins où nous sommes montés sur les toits.

Et enfin, la plus mystérieuse rencontre de toutes, une nuit, à Mardin, celle d’Aladin le voleur, qui est furtivement sorti d’une maison en s’excusant platement à notre vue. Il nous a montré une grosse clef et une serrure qu’il avait à la main. Il a essayé d’ouvrir plusieurs maisons devant nous, nous a invité à le suivre au cimetière (ce que nous n’avons évidemment pas fait) avant de disparaître dans la pénombre d’une ruelle.